Umalis Group

Interview : Umalis Group et le Club des entrepreneurs de croissance

Interview avec Christian Person, entrepreneur, fondateur du groupe Umalis et président du Club des entrepreneurs de croissance

Une fédération qui regroupe plus de 16 000 entrepreneurs. Il commente le rapport Badinter qui, selon lui, « fera tout sauf améliorer le fonctionnement du marché du travail ». Il souligne : « La prochaine fois, nous devinerons dans les prémisses de la lettre de mission qu’il n’y a rien à attendre des commissions et des groupes de travail. La France a besoin d’une refonte intégrale de son Code du travail qui constitue aujourd’hui une véritable entrave au marché du travail. Elle a besoin d’un souffle nouveau ». Christian Person répond aux questions de Yannick Urrien, mercredi 27 janvier 2016 sur Kernews.

Kernews : D’abord, quel est le positionnement d’Umalis et du Club des entrepreneurs de croissance ?

Christian Person :

Nous sommes représentatifs d’un certain nombre d’entrepreneurs qui sont dans le numérique. Umalis est une société qui fait du portage salarial, avec des ingénieurs et des docteurs. Nous avons comme particularité d’avoir créé un laboratoire de recherche, au sein d’Umalis, avec quatre doctorants, deux en sciences humaines, dont un en sociologie, et deux en informatique. Nous avons également trois contrats de partenariat avec des grandes écoles, comme l’ESCP Europe, Polytechnique à Bucarest, Polytechnique en France et SupTélécom. Tout cela pour réfléchir sur l’évolution du marché du travail, les nouvelles formes d’emploi ou les meilleures offres de services à offrir à des personnes qui sont en mobilité professionnelle. Nous nous interrogeons sur ces problématiques du chômage, toujours dans une démarche scientifique, avec l’objectif de trouver des solutions que l’on peut commercialiser puisque nous voulons créer des nouveaux produits et des nouveaux services.

Après la publication du rapport Badinter sur le Code du travail, vous évoquez « un syndrome de Stockholm » qui a frappé nos gouvernants…

Oui, il y a une espèce de terreur ! Tout le monde semble paralysé par la peur de modifier quoi que ce soit dans l’organisation du travail, des instances prud’homales ou des syndicats. Il y a une véritable terreur qui interdit la pensée et toute remise en question. J’ai travaillé à l’ANPE pendant sept ans, avant le passage à Pôle Emploi, puis à l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), j’ai donc passé douze ans de ma vie professionnelle à accompagner des chômeurs. Depuis vingt-cinq ans, on constate que le nombre de chômeurs va de record en record et les élites politiques et économiques qui nous dirigent s’accommodent de cette augmentation stable et constante du nombre des demandeurs d’emploi. Alors, on augmente les dépenses sociales pour accompagner cette crise interminable, mais on ne voit aucune solution.

Vous savez bien que la douleur est plus acceptable quand elle s’installe progressivement… Finalement, vous faites un parallèle en expliquant que le Code du travail agit comme un geôlier dont nous sommes les prisonniers…

C’est une situation qui est acceptée, mais on sait bien que le chômage de longue durée provoque une vraie souffrance chez les personnes concernées, une perte de confiance en soi, et les gens s’enferment dans la solitude. Cela entraîne aussi des ruptures familiales. C’est une cause de souffrance, mais aussi de maladie et de dépressions. Mais comme c’est insidieux et long, on réussit à s’en accommoder en refusant de voir la gravité de ce qui se passe. Le discours d’Umalis est de constater qu’il y a d’énormes besoins dans l’économie qui ne sont pas satisfaits. C’est comme si l’on créait artificiellement une pénurie d’emplois alors que les besoins sont constants en matière de travail. On pourrait créer un nombre très important d’emplois et, peut-être, revenir vers le plein emploi. Sincèrement, je crois que c’est possible, on n’est pas condamné à ce chômage de masse avec toutes les conséquences que cela produit. C’est une illusion et c’est pour cela que je parlais du syndrome de Stockholm et de cette impression d’être prisonnier d’une geôle imaginaire. Alors, on s’interdit de penser en dehors de nos habitudes et de tous les compromis qui se sont accumulés depuis cinquante ans pour construire cette pénurie et ce chômage de masse.


Depuis des années, on nous explique dans les médias officiels que les nouvelles technologies ont pour effet de créer du chômage, que c’est une fatalité et qu’il n’y aura plus jamais de plein emploi… Or, quand on rencontre des chefs d’entreprise, ils expliquent tous qu’ils ont envie de recruter mais qu’ils ne peuvent pas le faire….

A commencer par nous ! Pendant trois années consécutives, nous avons eu 40 % de croissance du chiffre d’affaires d’Umalis, nous sommes montés à 9,4 millions d’euros avec 160 salariés. J’ai créé une filiale en Tunisie et je suis en train de développer une petite filiale en Roumanie, parce que nous voulons exporter notre savoir-faire dans le domaine du portage salarial et de l’accompagnement des personnes. Si on me lâchait le frein à main, je pourrais créer des emplois pratiquement toutes les semaines ! Mais on a trop peur de se tromper, et des conséquences de cette erreur, parce qu’en cas de rupture du contrat de travail il y a un prud’homme une fois sur deux : un prud’homme dure longtemps, il faut payer un avocat et on a constamment cette idée à l’esprit, avant même de créer un emploi. Parfois, on se trompe de bonne foi, parce que le candidat est séduisant, brillant, avec un bon CV, et puis on se rend compte au bout d’un an que l’on s’est trompé et nous ne sommes plus dans la même vision des choses. Au moment de se séparer, il y a une espèce de jeu pervers où chacun essaie d’être en position de force pour négocier une rupture à son avantage. Dans une grande entreprise du CAC 40, ce n’est pas très grave, on peut industrialiser tous ces processus. Mais dans une petite entreprise de trois ou quatre personnes, c’est impossible ! Maintenant, je voudrais quand même complimenter Monsieur Macron pour son idée de plafonner les indemnités prud’homales. Ce n’est pas encore fait, puisque le Conseil constitutionnel a retoqué ce projet, mais ce sera à nouveau dans les propositions de Madame El Khomri.

C’est comme aux États-Unis où l’avocat, avant un mariage, prévient le futur marié de ce qu’il devra payer en cas de divorce…

Quand on est pris par la magie de la rencontre, on est amoureux : c’est la même chose avec un candidat, on se dit que l’on a trouvé quelqu’un d’extraordinaire et on n’a pas envie d’imaginer le pire…

Vous êtes bien placé pour parler de la question du Code du travail, puisque le portage salarial est une première liberté de l’indépendant vis-à-vis d’une entreprise. Cependant, vous êtes quand même bloqué par la législation…

Le portage salarial, c’est une longue lutte, pratiquement d’une trentaine d’années. Actuellement, cela pèse environ 500 millions d’euros et il y aurait en France 50 000 équivalents temps plein dans le portage salarial. Il faut se rappeler l’origine de cette nouvelle forme d’emploi. C’était un chômeur, il y a une vingtaine d’années, qui a trouvé une mission chez un ancien collègue. A l’époque, il fallait un Siret mais, en ayant un Siret, on était immédiatement radié de la liste des demandeurs d’emploi. L’idée du portage est d’avoir quelqu’un d’autre, qui a une société et qui va facturer votre client. Ensuite, il transforme cette facturation en salaire. Depuis, c’est quelque chose qui a connu beaucoup de succès. La croissance est de l’ordre de 20 % par an depuis quinze ans, donc on voit bien que cela correspond à un besoin. Pour le bien de cet indépendant, nous nous sommes battus pour la reconnaissance de son contrat de travail. Mais, pendant longtemps, Pôle emploi a refusé de reconnaître l’existence d’un contrat de travail, parce qu’elle ne voulait pas indemniser des personnes qui sortaient du portage salarial. On y est arrivé, mais cela a un coût, puisque nous avons dû faire entrer notre métier dans le Code du travail, avec toutes les conséquences qui vont avec.

Dans son rapport sur le Code du travail, Robert Badinter n’a pas exploré en profondeur les nouvelles formes d’emploi ni les nouveaux modes de vie, comme ce que l’on appelle l’ubérisation de l’économie et du travail… Comment expliquez-vous cette démarche prudente ?


Monsieur Badinter est un philosophe du droit, c’est un constitutionnaliste, tout le monde le connaît pour l’abolition de la peine de mort et toute sa vie a été consacrée à la réflexion sur les droits fondamentaux de l’être humain. C’est très respectable, mais on est très loin des préoccupations de l’entrepreneur et du salarié ! Si j’étais au gouvernement et si je voulais faire avancer la question du chômage, je ne demanderais pas à un brillant constitutionnaliste de travailler sur ce sujet. On est dans l’urgence, on a besoin d’avoir des personnes de terrain, avec un esprit proche des réalités quotidiennes, du contrat de travail et de l’embauche. Il faut bien comprendre que si le bateau coule, on n’ira nulle part. Malheureusement, en conclusion, vous estimez qu’en matière sociale les gouvernements successifs ont touché le fond, mais creusent encore…

Ils ne sont pas sortis de l’auberge, mais cette année, compte tenu de ce que l’on nous a annoncé, il n’y aura pas de changement. Je vous donne rendez-vous l’an prochain à la même époque et on peut parier que l’on aura augmenté le nombre de demandeurs d’emploi d’environ 100 000. Je trouve formidable cette capacité de notre pays à absorber tout cela. On pense toujours avoir touché le fond, mais on a une très grande capacité à lever des capitaux, parce que l’on est dans l’Union européenne, nous avons une signature qui reste très valorisée et on peut encore financer des déficits pendant un certain nombre d’années. Il n’y a pas de raison objective pour que tout cela s’arrête. C’est dommage, parce que nous avons un énorme potentiel. Mais il y a des blocages et des inhibitions qui font que l’on ne transforme pas l’essai. Toutefois, nous ne sommes pas condamnés.

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