Umalis Group

REQUÊTE DE LA SOCIÉTÉ UMALIS GROUP, LA COUR DE JUSTICE A RENDU SON VERDICT

Conseil d’État, 1ère chambre, 31/03/2017, 400747, Inédit au recueil Lebon
Rapporteur : M. Frédéric Puigserver
Commissaire : M. Rémi Decout-Paolini
 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du peuple français

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, les sociétés Umalis Group, Umalis International et Umalis Research demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1886 du 30 décembre 2015 relatif au portage salarial ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 200 euros à verser à chacune d’elles au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.Vu les autres pièces du dossier .

Vu :
 le code du travail ;
 la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
 l’ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 ;
 le décret n° 2015-1884 du 29 décembre 2015 ;
 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
 le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,
 les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :
1. D’une part, aux termes de l’article L. 1254-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué : »Le portage salarial désigne l’ensemble organisé constitué par : / 1° D’une part, la relation entre une entreprise dénommée « entreprise de portage salarial » effectuant une prestation et une entreprise cliente, qui donne lieu à la conclusion d’un contrat commercial de prestation de portage salarial
 : /°2. D’autre part, le contrat de travail conclu entre l’entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le « salarié porté », lequel est rémunéré par cette entreprise « . Aux termes du I de l’article L. 1254-2 de ce code :  » I.- Le salarié porté justifie d’une expertise, d’une qualification et d’une autonomie qui lui permettent de rechercher lui-même ses clients et de convenir avec eux des conditions d’exécution de sa prestation et de son prix « . Aux termes de l’article L. 1254-3 du même code :  » L’entreprise cliente ne peut avoir recours à un salarié porté que pour l’exécution d’une tâche occasionnelle ne relevant pas de son activité normale et permanente ou pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas « .

2. D’autre part, aux termes de l’article L. 1254-26 inséré dans le code du travail par l’ordonnance du 2 avril 2015 relative au portage salarial :  » I.- L’entreprise de portage salarial justifie, à tout moment, d’une garantie financière assurant, en cas de défaillance de sa part, le paiement : / 1° Des salaires et de leurs accessoires (…) / II.- La garantie financière ne peut résulter que d’un engagement de caution pris par une société de caution mutuelle, un organisme de garantie collective, une compagnie d’assurance, une banque ou un établissement financier habilité à donner caution. / Elle est calculée en pourcentage de la masse salariale annuelle de l’entreprise intéressée, sans pouvoir être inférieure à un minimum fixé annuellement par décret, compte tenu de l’évolution moyenne des salaires. (…) « . Aux termes de l’article L. 1254-27 du même code, également créé par l’ordonnance du 2 avril 2015 :  » L’activité d’entrepreneur de portage salarial ne peut être exercée qu’après déclaration faite à l’autorité administrative et obtention de la garantie financière. / Un décret en Conseil d’Etat détermine le contenu et les modalités de la déclaration prévue au présent article « .

3. Le décret attaqué du 30 décembre 2015 insère dans le code du travail un article D. 1254-1 qui fixe le montant de la garantie financière prévue à l’article L. 1254-26, dont doit justifier l’entreprise de portage salarial au titre d’une année donnée, à 10 % au moins de la masse salariale de l’année précédente, sans pouvoir être inférieur à 2 fois la valeur du plafond annuel de la sécurité sociale de l’année considérée fixé en application de l’article D. 242-17 du code de la sécurité sociale, qui s’élevait pour 2016 à 38 616 euros par l’effet de l’arrêté du 17 décembre 2015 portant fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2016. Le II de l’article 3 du même décret prévoit, à titre transitoire, que cette garantie est fixée, du 1er janvier au 31 décembre 2016, à 8 % de la masse salariale de l’année 2015, sans pouvoir être inférieure à 1,5 fois la valeur du plafond annuel de la sécurité sociale pour l’année 2016, et du 1er janvier au 31 décembre 2017, à 9 % de la masse salariale de l’année 2016, sans pouvoir être inférieure à 1,8 fois la valeur du plafond annuel de la sécurité sociale pour l’année 2017. Enfin, ce décret insère dans le code du travail un article R. 1254-3 fixant la liste des mentions que comporte la déclaration préalable d’entreprise de portage salarial prévue à l’article L. 1254-27 du même code.
Sur la méconnaissance du principe d’égalité :

4. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
5. D’une part, aux termes de l’article L. 1251-1 du code du travail :  » Le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d’un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission. / Chaque mission donne lieu à la conclusion : / 1° D’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit « entreprise utilisatrice » ; / 2° D’un contrat de travail, dit « contrat de mission », entre le salarié temporaire et son employeur, l’entreprise de travail temporaire (…) « . Aux termes de l’article L. 1251-5 du même code :  » Le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice « . Aux termes de l’article L. 1251-6 de ce code :  » (…) il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas suivants : / 1° Remplacement d’un salarié (…) / 2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; / 3° Emplois à caractère saisonnier (…) « .

6. D’autre part, aux termes de l’article L. 1251-45 du code du travail :  » L’activité d’entrepreneur de travail temporaire ne peut être exercée qu’après déclaration faite à l’autorité administrative et obtention d’une garantie financière conformément à l’article L. 1251-49. (…) « . Aux termes de l’article L. 1251-49 du même code :  » L’entrepreneur de travail temporaire justifie, à tout moment, d’une garantie financière assurant, en cas de défaillance de sa part, le paiement : / 1° Des salaires et de leurs accessoires (…) « . Aux termes de l’article L. 1251-50 de ce code :  » La garantie financière ne peut résulter que d’un engagement de caution pris par une société de caution mutuelle, un organisme de garantie collective, une compagnie d’assurance, une banque ou un établissement financier habilité à donner caution. / Elle est calculée en pourcentage du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise intéressée. / Elle ne peut être inférieure à un minimum fixé annuellement par décret, compte tenu de l’évolution moyenne des salaires « . L’article R. 1251-12 du même code précise que le montant de cette garantie doit être au moins égal à 8 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice social, sans pouvoir être inférieur à un minimum, fixé pour l’année 2016, par le décret du 29 décembre 2015 pris en application de l’article L. 1251-50 du code du travail, à 122 128 euros.
7. Si les entreprises de portage salarial s’apparentent aux entreprises de travail temporaire en ce que les salariés portés exercent leur activité au profit d’entreprises clientes, elles s’en distinguent toutefois en raison notamment de l’autonomie des salariés portés, de la nature des tâches qu’ils peuvent exécuter et des obligations respectives de l’entreprise employeur et de son salarié. Les deux catégories d’entreprises se trouvent, par conséquent, dans une situation différente. En fixant, à compter du 1er janvier 2018, à 10 % de la masse salariale de l’année précédente ou, au moins, à deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale de l’année considérée, le montant minimum de la garantie financière que doivent souscrire les entreprises de portage salarial en application de l’article L. 1254-26 du code du travail, et en fixant ce taux et ce facteur, respectivement, à 8 % et 1,5 pour 2016 et à 9 % et 1,8, pour 2017, alors que le montant minimum de la garantie financière exigée des entreprises de travail temporaire en vertu de l’article L. 1251-49 du code du travail est fixé à 8 % de leur chiffre d’affaires ou à une valeur minimale s’élevant, à la date de son adoption, à 122 128 euros, le décret attaqué n’a pas fait peser sur les entreprises de portage salarial des exigences manifestement disproportionnées par rapport à celles pesant sur les entreprises de travail temporaire, au regard de la différence de situation existant entre ces deux catégories d’entreprises et de l’objectif poursuivi, qui est d’organiser la couverture des risques inhérents à chacune de ces activités.

8. Sur la méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l’industrie : En premier lieu, eu égard à l’intérêt général qui s’attache au paiement des dépenses couvertes par la garantie financière imposée aux entreprises de portage salarial, notamment les salaires, le pouvoir réglementaire a pu, sans porter une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie, fixer ainsi qu’il l’a fait le montant de cette garantie.

9. En deuxième lieu, en prévoyant que la déclaration préalable à laquelle est subordonnée l’exercice de l’activité d’entrepreneur de portage salarial comporte notamment la désignation de l’organisme auquel l’entreprise de portage salarial verse les cotisations de sécurité sociale ainsi que son numéro d’employeur, les domaines géographiques et professionnels dans lesquels l’entreprise entend porter ses salariés et le nombre de salariés permanents que l’entreprise emploie ou envisage d’employer pour assurer le fonctionnement de ses propres services, le décret attaqué n’a pas fait peser sur les entreprises en cours de création des exigences excessives, qui porteraient une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie.

10. En dernier lieu, les dispositions de l’article L. 1254-2 du code du travail, issues de l’ordonnance du 2 avril 2015 relative au portage salarial, qui imposent que le salarié porté bénéficie d’une rémunération minimale fixée, à défaut d’accord de branche étendu, à 75 % de la valeur mensuelle du plafond de la sécurité sociale, ont été ratifiées par l’article 85 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Leur légalité n’est ainsi plus susceptible d’être discutée par la voie contentieuse et les sociétés requérantes ne peuvent, par suite, utilement soutenir qu’elles feraient obstacle à la création d’entreprises nouvelles et seraient ainsi illégales.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête des sociétés Umalis Group, Umalis International et Umalis Research doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :


Article 1er : La requête des sociétés Umalis Group, Umalis International et Umalis Research est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée, pour l’ensemble des sociétés requérantes, à la société Umalis Group, première dénommée, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

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